Thierry Pertuisot

provignage

Sur les coteaux d’Épernay, au milieu des vignes, dans son atelier conçu pour capter la lumière idéale, Thierry Pertuisot s’affronte sereinement à la toile crue, simplement encollée, à des fins immédiates autant qu’emblématique, quand la nature seule impose le dialogue sans mots de sa toute présence.

On connaît l’inspiration tellurique du peintre des eaux vives et des terres Brûlées, sa passion quasi topographique tournée vers le Septentrion. Au-delà du vis-à-vis contemplatif et de la notion de modèle, Pertuisot s’affronte à des territoires physiques avec une force d’empathie confinant au pur transfert d’intensités. Aussi travaille-t-il lui-même ses pigments pour atteindre la vraie nuance, la matité ou le feu choisi. Une dérive de moraines sur un glacier, le ressac d’un fleuve, une dépression volcanique creusée de ravines ou un écueil torrentueux au bout d’un promontoire suffisent à emplir son regard, à mettre en activité détonante les énergies du monde inhabité et du geste solitaire.

La surface au sol est son médium : tout agencement de textures figure une concentration de dynamismes où l’œil trouve l’équilibre parfait à la pointe réversible des instabilités qui bâtissent trame sur trame l’apparence. Au terme d’affleurements avec le détail naturel soudain capturé, par manière de cut up – passage volontiers ingénu dans le tissu même du visible avant toute transcription -, Pertuisot poursuit une confrontation plénière, dans l’abstraction conjuguée des sols et des éléments chtoniens. Il ne s’agit guère d’imitation naturaliste ou d’inscription composée d’artefacts ici, mais d’une sorte de pangénèse associant l’essor élémentaire à l’impulsion esthétique. Le peintre n’imite pas mais recrée, lui-même porté par cette inextricable chorégraphie organique où l’espace au temps s’enlace.

L’empreinte du geste témoigne seule de la vitesse et de la fugacité – ainsi en est-il de ce brasier expressionniste, carré démultiplié en neuf toiles qui, chacune, active la composition d’ensemble, comme la flamme une et diverse en tout lieu d’incendie, ou des fragments de sols de vigne couverts de débris d’écorce, ceux-là plus secret encore, dans la proximité fixe des astres.

Juste à hauteur de cru, entre maille et treille, greffe et provignage, l’univers du peintre pousse vers nous sa face à la fois remuante et ordonnée, celant les arcanes de toute composition. On songe à telle phrase de Vinci’ : “L’expérience, truchement entre la nature artiste et l’espèce humaine, enseigne l’oeuvre de cette nature parmi les mortels.” Pertuisot relaie en démiurge l’énergie impersonnelle en acte dans les figures du réel que la lumière manifeste. La peinture avec lui poursuit une aventure majeure, dans l’émancipation des signes et la confrontation arborescente au miracle perpétué de la présence, ce chaos aux structures adamantines.

Hubert Haddad

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